Résumé : Conseil des Mohawks d'Akwesasne (Québec)

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Notre proposition pour le Défi des villes intelligentes : réduire le nombre de nouveaux cas de diabète à Akwesasne pour rejoindre la moyenne canadienne. Notre objectif semble plutôt humble, soit d'être seulement aussi mauvais que le reste de la population canadienne. Mais par cette déclaration, les habitants d'Akwesasne fixent la limite que ne doit pas franchir cette menace qui met notre peuple en péril : le diabète. Et notre travail pourra peut-être servir à d'autres communautés : des recherches récentes portant sur 111 études menées dans le monde entier ont confirmé l'existence d'un fardeau disproportionné de complications liées au diabète chez tous les peuples autochtones, quelle que soit leur situation géographique.

(Tiré de : Global complication rates of type 2 diabetes in Indigenous peoples: A comprehensive review)

Nous reconnaissons que la situation que doit maintenant affronter le peuple d'Akwesasne s'explique par la perte de notre mode de vie traditionnel. Un « rouleau compresseur » d'occidentalisation a perturbé notre mode de vie traditionnel, pollué nos sources naturelles de nourriture et divisé le territoire d'Akwesasne en trois administrations politiques compliquées qui échappent à notre contrôle. Nos aptitudes et compétences valorisées dans le passé ont perdu de leur pertinence. L'accompagnement prodigué par nos aînés à l'aide de cérémonies et d'enseignements traditionnels a déraillé. La tentation des habitudes de consommation occidentales et de l'alimentation moderne, fortement génératrice de maladies, a exacerbé notre prédisposition génétique au diabète, tout comme notre mode de vie devenu trop sédentaire. Nos traditions cherchaient à préserver notre relation unique avec l'environnement, pour faire de nous une société durable. Tout cela a été remplacé par notre acceptation de vivre dans un état amoindri et de recourir à la médecine moderne, qui ne nous permet pas de recouvrer la santé. Elle ne nous guérit pas, mais nous maintient plutôt dans un état de dévitalité perpétuelle.

Mais comment renverser cette tendance à l'aggravation constante de la santé? Comment pouvons-nous aborder ce problème sous un autre angle?

Nous avons pris conscience de la façon dont les organisations et les industries se réinventent et améliorent leur situation actuelle grâce à l'utilisation de Design Thinking. Avec nos partenaires, nous avons appris à aller à la racine de notre problème et à trouver des idées pour le résoudre.

Nous voulions que tous les membres de notre communauté participent. Nous voulions rendre notre travail transparent afin de renforcer les relations de nos résidants entre eux et avec nos organismes publics. Nous voulions que notre communauté participe à l'élaboration de notre plan d'action à chaque étape, afin que les solutions qui sont mises de l'avant conviennent à tous.

Nous avons commencé par passer en revue tout ce que nous avions étudié auparavant. Nous avons rencontré nos gens individuellement, en groupes et à distance au moyen de sondages et d'appels téléphoniques. Nous avons discuté et décelé des problèmes. Nous avons abordé plus d'une centaine de causes et de solutions, puis nous avons fait ressortir les points essentiels concernant notre situation difficile. Nous avons établi que les précurseurs conduisant à une prévalence élevée de diabète sont liés à ces facteurs plutôt simples :

• Disponibilité des aliments
• Accessibilité du réseau
• Accessibilité des transports
• Occidentalisation
• Fréquence des examens médicaux et dentaires
• Coupures dans le système de soins de santé
• Perte de la cible démographique après l'école primaire

(Ces facteurs seront expliqués plus en profondeur plus loin dans notre proposition.)

Nous avons appris que la voie à suivre pour la santé d'Akwesasne doit être une approche multidimensionnelle qui s'attaque à plusieurs aspects simultanément. Dans nos propres traditions touchant la santé, la perspective haudenosaunee nous rappelle que la bienveillance, la paix et la force sont synonymes d'un concept unifié du corps, de l'âme et de l'esprit. De même, notre capacité à atteindre une bonne santé nous permettra de nous concentrer sur quatre piliers qui résument nos idées : mieux-être, tradition, accès et mesure. Ces piliers seront au cœur de nos actions dans notre démarche pour le Défi des villes intelligentes, et prendront la forme de nouveaux outils et d'une nouvelle façon de communiquer, de se souvenir et d'enseigner. Grâce à la technologie, nous pourrons bien comprendre notre propre condition, nous préparer au changement et faire en sorte que le changement puisse être mesurable et adaptable.

Dans l'ensemble, si nous en sommes là aujourd'hui, c'est parce que nous n'avons pu nous adapter lorsque l'occidentalisation et la technologie industrielle ont changé notre environnement. C'est la même histoire pour les peuples autochtones du monde entier, et c'est aussi une histoire d'abus de pouvoir. Bien qu'il soit regrettable que notre environnement actuel nous offre beaucoup moins qu'auparavant à bien des égards, il nous révèle également de nouvelles choses. Nos aînés pouvaient marcher dans le bois et identifier des douzaines de végétaux ayant des vertus nutritives, médicinales ou culturelles. Aujourd'hui, notre environnement dispose de technologies et de machines dont nous devons reconnaître l'utilité et que nous devons utiliser. Et pas seulement les utiliser, mais acquérir des compétences par le fait même.

Depuis que nous avons été forcés d'abandonner nos méthodes traditionnelles et que nous avons perdu notre autosuffisance, l'esprit de notre communauté a également souffert. La perturbation de Kanikonhriio (la bienveillance) et de Sken:nen (la paix) a mené à la perte de notre force à prendre soin de nous-mêmes et des autres. Elle a affaibli notre estime personnelle et perturbé notre contribution à l'effort concerté ainsi que notre accès à l'enseignement. Même la nourriture sur notre propre territoire ne peut plus être pêchée de la rivière ou cultivée en toute sécurité.

Pourtant, la force de notre communauté peut être revigorée, surtout si nous nous attaquons au problème du diabète. Nous pouvons utiliser les nouvelles technologies telles que la communication sans fil pour nous aider à fonctionner en harmonie à nouveau. Il est possible d'introduire des systèmes qui nous rendront plus forts ensemble en nous gardant en contact et en nous permettant de répondre aux demandes d'aide ou d'apprentissage de tout un chacun. Nous pouvons mettre en commun nos apprentissages, nous adonner à des activités saines ensemble et apprendre à nous connaître les uns les autres.

Nos défis en matière de santé sont plus difficiles à relever parce que nous ne nous connaissons pas. Nous connaître non pas dans le sens causal, mais dans le sens où nos services de santé n'ont pas l'information appropriée sur notre santé individuelle. L'éclatement de notre communauté en administrations et en districts de santé signifie que nous pouvons à peine nous connaître nous-mêmes, c'est-à-dire avoir accès à nos antécédents médicaux exacts, qui sont souvent répartis entre les provinces et les pays. Alors comment pouvons-nous comprendre l'état de santé de notre communauté et comment pouvons-nous planifier son amélioration? Une application mobile, conçue dans le but de nous organiser et de structurer notre information médicale, peut nous aider à redevenir une communauté soudée. Les outils modernes peuvent rendre nos problèmes compréhensibles et nous permettre de mieux comprendre notre état afin que nous puissions trouver des moyens d'inverser notre mauvaise adaptation à cet environnement encore relativement nouveau.

Maintenant, en réfléchissant à la façon dont la technologie peut aider Akwesasne et à ce que le Défi des villes intelligentes pourrait nous permettre de faire, nous avons commencé à penser autrement en tant que groupe. Design Thinking aide les organisations à innover, ce qui est en fait est synonyme de « s'adapter ». Et cette approche nous a permis de rattraper le temps perdu pendant les années où nous n'avons pu nous adapter. Nous voulions aller de l'avant, mais nous avions de la difficulté à décider ce que nous devions faire. Nous avons maintenant passé en revue ce que nous savons, nous nous sommes concentrés sur un défi, nous avons mobilisé notre communauté, nous avons pris notre élan et nous avons élaboré un plan qui utilise les technologies intelligentes comme antidote aux problèmes causés par la modernisation antérieure.

Akwesasne a reconnu le Défi des villes intelligentes comme une occasion de relever notre plus grand défi. Nous nous sommes rassemblés et nous avons trouvé un moyen de nous organiser pour aller de l'avant. Alors qu'une grande partie de la technologie du monde moderne nous a causé des ennuis par le passé, nous allons maintenant utiliser la technologie comme matière première pour retrouver notre vitalité.

Notre plan d'adoption de la technologie se fera à nos conditions. Notre projet ne semble peut-être pas révolutionnaire, mais c'est bien ainsi, car nous ne souhaitons pas un rythme de changement déconcertant. Grâce à l'utilisation d'une dizaine de véhicules électriques, la construction de trois serres adoptées par le programme scolaire et une application mobile que nous pouvons mettre à la disposition de tous, nous envisageons de nous attaquer aux quatre piliers de notre défi. Avec cet investissement limité dans les machines et les logiciels, nous nous pencherons sur la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons.

L'outil de coordination administrative mobile, que nous appelons l'application de la communauté d'Akwesasne, sera essentiel à l'organisation de la force de notre communauté. Celle-ci nous permet de tout rassembler en assurant la communication entre les membres de la communauté, la coordination des services, l'accès aux programmes alimentaires et communautaires, la mesure de l'efficacité des services et le suivi de la santé individuelle. Grâce à ces outils et à cette surveillance, nous pourrons relever notre défi et réduire le nombre de nouveaux cas de diabète pour rejoindre la moyenne canadienne. Il serait bien de cibler le taux de prévalence du diabète de nos ancêtres d'il y a 200 ans, mais notre objectif de rejoindre le niveau de santé des autres Canadiens est déjà un défi de taille.

Notre succès marquera un tournant dans notre histoire. Ce sera le début de notre bataille contre le risque le plus important pour la santé de notre population. Ce sera le début de l'amélioration du facteur le plus important pour mener une vie heureuse, à savoir une bonne santé. Nos aînés savaient tirer le meilleur de ce que l'environnement avait à offrir, et nous pouvons utiliser cette approche à nouveau. La technologie est comme une nouvelle herbe, nous devons la comprendre et l'utiliser. Nous l'utiliserons sans oblitérer les traditions qui définissent notre identité. Nous l'utiliserons tout en restant en harmonie avec l'environnement.

Nous pouvons utiliser de nouvelles solutions comme les voitures et les autobus électriques pour nous déplacer sans accroître la charge toxique en consommant de l'essence. Nous pouvons utiliser des serres pour remplacer nos sources alimentaires polluées et récupérer une certaine autosuffisance. La programmation mobile et informatique peut rétablir le partage et l'aide sur lesquels reposait notre force en tant que nation. Les outils numériques nous donneront accès à notre mémoire collective et à la sagesse de nos traditions, desquelles nous puiserons la fierté nécessaire à notre évolution en tant que peuple. Nos enseignements traditionnels montrent comment la force se construit à partir du travail en commun. Nous utiliserons cette approche pour travailler sur plusieurs aspects à la fois afin de renverser la principale menace qui plane sur notre santé.

Nous pensons que cette solution est extensible. Toutes nos idées – soit la technologie mobile, les bases de données, l'intégration d'appareils médicaux, la détection de localisation, les diagnostics de santé, les statistiques, la logistique du transport, les véhicules électriques – devront être adaptées au cas par cas. Au cœur de ces idées se trouvera le système à code source ouvert. Il s'agira de la plaque tournante des services, un système non exclusif qui pourra être hébergé n'importe où. Les leçons que nous avons apprises, les approches que nous adoptons et la façon dont nous intégrons le nouveau à l'ancien seront certainement utiles aux nations autochtones du Canada et du monde entier.

Nous ne sommes pas le seul peuple dont la nation a été ébranlée par le colonialisme. Nous ne sommes pas les seuls Autochtones dont les communautés ont été défigurées par des changements et des « progrès » imposés. Quelle qu'en soit la cause, d'autres peuples autochtones du monde entier sont à risque de souffrir de diabète autant que nous. Ils bénéficieraient certainement de notre expérience avec ce projet. Nous serions heureux de leur faire découvrir notre technologie.